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Comment la justice peut techniquement activer votre caméra ou micro de téléphone?

Peut-on vraiment activer votre caméra ou votre micro de téléphone à distance? Décryptage technique sur la faisabilité de la nouvelle loi Justice française.

Nicolas Verlhiac : photo de l'auteur de l'article
Nicolas Verlhiac
Peut-on vraiment activer votre caméra ou votre micro de téléphone à distance? Décryptage technique sur la faisabilité de la nouvelle loi Justice française.

Dans un monde où nos téléphones sont devenus des extensions de nous-mêmes, l’idée qu’ils puissent être transformés en outils de surveillance à distance est troublante. Récemment, la France a adopté une loi controversée qui autorise l’activation à distance des caméras et des micros des téléphones, suscitant de nombreuses inquiétudes.

Mais comment cela fonctionne-t-il techniquement? Est-ce même possible avec un vieux téléphone basique? Dans cet article, nous allons lever le voile sur le mystère de la surveillance à distance des téléphones, en explorant les aspects techniques de cette nouvelle réalité.

Fonctionnement de la surveillance à distance des téléphones

Historiquement, la surveillance à distance des appareils connectés a été associée à des activités de piratage ou à des attaques de virus. Paradoxalement, on ne pense jamais à inclure la surveillance étatique. L’activation d’une caméra ou des micros d’un téléphone à distance repose sur l’utilisation de diverses technologies, souvent regroupées sous le terme de « logiciels malveillants » ou « malware ».

Parmi ces outils, on trouve :

  • Logiciels espions : programmes conçus pour recueillir des informations sur un ordinateur et les transmettre à une entité externe sans le consentement de l’utilisateur.
  • Chevaux de Troie : types de logiciels malveillants qui se déguisent en programmes légitimes pour tromper les utilisateurs et les inciter à les installer sur leur appareil.
  • Portes dérobées (backdoors) : méthodes d’accès à un système informatique ou à des données chiffrées qui contourne les mécanismes de sécurité normaux. Elles peuvent être installées par des fabricants d’appareils ou de logiciels pour permettre l’accès à des techniciens ou à des agences de sécurité nationales. (Nous reviendrons plus en détail sur ce point)

Les motifs de la surveillance à distance peuvent varier. Dans certains cas, elle peut être utilisée par des cybercriminels pour voler des informations personnelles ou commettre des fraudes. Dans d’autres cas, elle peut être utilisée par des entreprises pour surveiller l’utilisation de leurs appareils et protéger leurs actifs. Cependant, une utilisation de plus en plus courante de la surveillance à distance est la surveillance étatique. Les gouvernements du monde entier utilisent ces technologies pour surveiller les activités suspectes, prévenir les activités criminelles et, dans certains cas, surveiller leurs citoyens (oups).

Si vous avez des doutes pour votre téléphone, nous vous proposons un dossier complet pour détecter les symptomes qui peuvent être les signes que votre téléphone est sur écoute.

Comment activer à distance la caméra / micro d’un téléphone?

La mise en œuvre technique de la surveillance à distance des téléphones peut varier en fonction des outils et des méthodes utilisés. Cependant, le processus implique l’installation d’un logiciel malveillant sur l’appareil cible. A partir de là, le malware peut-être utilisé pour accéder à distance aux fonctionnalités de l’appareil, comme la caméra ou le micro.

L’installation de ce logiciel malveillant peut être réalisée de plusieurs façons. Par exemple, un attaquant pourrait exploiter une vulnérabilité logicielle sur l’appareil pour installer le logiciel malveillant. Cela pourrait impliquer l’utilisation d’un exploit zero-day, qui est une vulnérabilité logicielle inconnue des fabricants et donc sans correctif disponible.

Une autre méthode courante est l’ingénierie sociale, où l’attaquant trompe l’utilisateur pour qu’il installe le logiciel malveillant. Cela pourrait impliquer l’envoi d’un email ou d’un message contenant un lien ou une pièce jointe malveillante, qui, une fois ouvert, installe le logiciel malveillant sur l’appareil. Il devient dès lors possibible d’activer la caméra ou le microphone à des moments spécifiques, ou d’enregistrer en continu et transmettre les données à un serveur distant.

Il est important de noter que ces méthodes nécessitent un certain niveau de sophistication technique et sont généralement utilisées par des acteurs expérimentés, comme des cybercriminels ou des agences de renseignement.

L’utilisation des backdoors, faussement simple à mettre en place

Une autre approche pour la mise en œuvre de la surveillance à distance est l’exploitation des “backdoors” ou portes dérobées. Ces accès cachés, intégrés dans les systèmes informatiques ou les appareils par les fabricants, permettent un accès non autorisé en contournant les mécanismes de sécurité habituels. Ils peuvent être utilisés par des techniciens pour le dépannage ou, potentiellement, par des agences de sécurité nationales pour la surveillance.

Techniquement, l’utilisation de backdoors est l’une des méthodes les plus simples pour mettre en place une surveillance à distance. Cependant, leur utilisation soulève des questions éthiques et légales importantes. Pour qu’une backdoor soit installée, il faut un accord entre le gouvernement et le fabricant de l’appareil ou du logiciel. Obtenir un tel accord n’est pas une tâche facile, car cela implique de convaincre le fabricant de compromettre la sécurité de ses produits, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur sa réputation et la confiance des clients.

Et pourtant, la frontière peut parfois être fine entre une backdoor intentionnelle et une faille zero-day “non-intentionnelle”.

Dans l’ombre de Pegasus, les réminiscences …

Un exemple notable de logiciel espion utilisé pour la surveillance à distance est Pegasus, développé par la société israélienne NSO Group. Pegasus est capable d’exploiter des vulnérabilités dans le logiciel de l’appareil pour s’installer sans que l’utilisateur ne s’en rende compte. Une fois installé, il peut accéder à une grande variété de données, y compris les messages, les emails, les appels téléphoniques et même activer à distance la caméra ou le microphone de l’appareil.

Pegasus a été utilisé dans plusieurs cas de surveillance à grande échelle, notamment contre des journalistes, des avocats et des défenseurs des droits de l’homme. Son utilisation a soulevé de nombreuses questions sur l’éthique de la surveillance à distance et sur la nécessité de réglementer l’utilisation de ces technologies.

C’est une transition toute trouvée vers la question de l’accès physique (spoiler: à ce stade vous vous doutez de la réponse).

L’accès physique est-il nécessaire ?

Pour faire court, bien que l’accès physique à un appareil ait été traditionnellement nécessaire pour installer un logiciel espion ou un malware, les avancées technologiques ont rendu cette exigence de moins en moins pertinente.

Accès physique : une méthode traditionnelle

Historiquement, l’accès physique à un appareil était nécessaire. Cela impliquait d’avoir l’appareil entre les mains pour installer le logiciel malveillant. Cette méthode est encore utilisée aujourd’hui, notamment dans les cas où la cible est facilement accessible. Cependant, elle présente plusieurs inconvénients. Premièrement, elle nécessite un accès direct à l’appareil, ce qui peut être difficile à obtenir sans éveiller les soupçons. Deuxièmement, elle peut laisser des traces physiques qui peuvent être détectées par la cible.

L’évolution vers l’accès à distance

Avec l’évolution des technologies, l’accès physique n’est plus toujours nécessaire pour installer un logiciel espion ou un malware. Des méthodes d’installation à distance ont été développées, permettant d’installer le logiciel malveillant sans avoir à toucher physiquement l’appareil. Ces méthodes peuvent impliquer l’envoi d’un lien ou d’un fichier malveillant à la cible, qui installe le logiciel espion lorsqu’il est ouvert.

Surveillance à travers les téléphones basiques

Les téléphones basiques, comprendre par là, ceux qui ne sont pas des smartphones, présentent des défis uniques en matière de surveillance à distance. Je vous vois regarder votre Nokia 3310 (2G), vous vous dites surement “Celui-ci ils ne sont pas prêt de me le pirater!“. Peut-être, mais …

Les téléphones basiques, comme le Nokia 3310, qui fonctionnent sur des systèmes d’exploitation plus anciens et plus simples, ne sont pas aussi vulnérables aux types de logiciels espions et de malwares qui sont couramment utilisés pour la surveillance à distance des smartphones modernes. Ces appareils plus anciens n’ont pas les mêmes capacités de connectivité Internet, ce qui rend plus difficile l’installation à distance de logiciels espions.

Cependant, cela ne signifie pas qu’ils sont complètement à l’abri de toute forme de surveillance. Des techniques plus traditionnelles, comme l’écoute des communications cellulaires ou l’accès physique à l’appareil, peuvent toujours être utilisées. De plus, si un vieux téléphone a été modifié pour ajouter des fonctionnalités de connectivité Internet, il pourrait devenir plus vulnérable à certaines formes de surveillance à distance.

Des téléphones conçus pour résister à la surveillance

Les téléphones conçus pour résister à la surveillance sont dotés de fonctionnalités de sécurité renforcées pour protéger les données de l’utilisateur. Ces fonctionnalités peuvent inclure le chiffrement de bout en bout, des pare-feu intégrés, des systèmes d’exploitation sécurisés et la possibilité de désactiver physiquement (hardware) certaines fonctionnalités, comme le micro ou la caméra.

Un exemple de ce type de téléphone est le PinePhone, conçu pour résister à la surveillance. Il est compatible avec de nombreuses bandes mondiales grâce à son module Quectel EG25-G.

L’un des aspects les plus intéressants du PinePhone est sa série de “kill switches” pour LTE, les caméras, le Wifi/Bluetooth et les micros. Ces interrupteurs permettent à l’utilisateur de désactiver physiquement certaines fonctionnalités pour améliorer la confidentialité. De plus, le PinePhone dispose de six broches pogo qui permettent l’ajout d’extensions matérielles personnalisées.

Utilisation de la surveillance des téléphones dans d’autres pays

La France n’est pas le seul pays à avoir adopté des lois permettant la surveillance à distance des téléphones. En effet, plusieurs autres nations ont également mis en place des réglementations similaires, ou sont connues pour utiliser ce type de surveillance, bien que les détails spécifiques et les limites légales puissent varier.

  • Aux États-Unis: la loi “Communications Assistance for Law Enforcement Act” (CALEA) autorise certaines formes de surveillance à distance dans le cadre d’enquêtes criminelles. Cette loi couvre tous les services de communication en ligne (Mobile, VoIP) où les forces de l’ordre peuvent écouter les appels téléphoniques d’une personne avec un mandat approprié. Il faut y ajouter le programme PRISM qui, dès 2007, permet à la NSA de passer outre les dispositifs de chiffrement et d’accéder à l’ensemble des données privées des utilisateurs de Google, Facebook (Meta), Microsoft ou Skype.

  • Au Royaume-Uni: la situation est similaire. Les lois permettent la surveillance à distance dans certaines circonstances, généralement liées à la sécurité nationale ou à la prévention du crime. Comme aux États-Unis, l’activation à distance des caméras et des micros des téléphones est généralement considérée comme intrusive et nécessite un mandat spécifique.

  • L’Allemagne dispose de lois qui permettent aux autorités d’utiliser des logiciels espions pour surveiller les appareils électroniques dans le cadre d’enquêtes criminelles. L’utilisation de ces techniques de surveillance est strictement réglementée et nécessite l’autorisation préalable d’un juge.

  • Aux Pays-Bas, le “Dutch Intelligence and Security Services Act” (Wet op de inlichtingen- en veiligheidsdiensten) autorise les services de renseignement à mener des activités de surveillance à distance pour protéger la sécurité nationale. Cela comprend la possibilité de surveiller les communications électroniques et les appareils.

  • La Suède a adopté une législation appelée “Lex Orwell” qui donne aux agences de sécurité suédoises le pouvoir de surveiller les communications électroniques à distance, y compris les appareils mobiles, dans le cadre de la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Ces pratiques sont soumises à des garanties et des contrôles stricts.

Il est important de noter que, bien que ces lois existent, leur mise en œuvre est souvent entourée de controverse. Les défenseurs des droits de l’homme et de la vie privée s’inquiètent de l’abus potentiel de ces pouvoirs par les gouvernements, et de l’impact que cela pourrait avoir sur la vie privée des individus.

De plus, il existe des préoccupations concernant la possibilité que ces technologies de surveillance soient utilisées à des fins non légales, telles que l’espionnage industriel ou le harcèlement.

Petit mot de la fin

La loi française qui autorise l’activation à distance des caméras et des micros des téléphones soulève des questions importantes sur la vie privée et la sécurité. Bien que cette loi soit entourée de “garanties importantes”, comme l’a souligné le ministre, elle ouvre la porte à des préoccupations en matière de surveillance de masse et de respect de la vie privée. En comprenant comment fonctionne techniquement cette forme de surveillance, vous pouvez mieux comprendre les implications de cette loi.