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Datacenters et changement climatique : enjeux et nouvelles limites

Nicolas Verlhiac : photo de l'auteur de l'article
Nicolas Verlhiac
Les centres de données sont une menace pour l'environnement, ils consomment 3% de l'approvisionnement mondial en électricité.

Alors que nous continuons à générer plus de données que jamais, comment pouvons-nous empêcher les centres de données qui hébergent ces informations de détruire la planète ?

En ce moment même, un nombre croissant d’organisations cherchent à devenir des acteurs majeurs de l’économie actuelle fondée sur les données, le centre de données reste l’un des éléments les plus importants de l’infrastructure commerciale. Cependant, alors que les calottes glaciaires continuent de fondre à un rythme alarmant, est-il vraiment possible de maintenir des centres de données énergivores tout en essayant de sauver la planète ?

Le 8 novembre 2019, la France promulgue la loi relative à l’énergie et au climat visant à déclarer une urgence climatique. Elle inscrit cette urgence dans le code de l’énergie ainsi que l’objectif d’une neutralité carbone en 2050, en divisant les émissions de gaz à effet de serre par six au moins d’ici cette date… Le mois de juillet 2019 a été le mois le plus chaud jamais observé dans le monde et des images satellites ont été publiées montrant de grandes parties de l’Arctique, du Groenland, de la Sibérie et de l’Alaska souffrant d’incendies de forêt.

Alors que la plupart des militants du changement climatique s’efforcent de limiter les émissions des secteurs de l’automobile, de l’aviation et de l’énergie, c’est l’industrie des communications qui est en passe de générer plus d’émissions de carbone que l’ensemble des secteurs susmentionnés.

En 2020, il a été signalé que les datacenters du monde entier utilisaient 650 TWh (térawatts-heures), soit, un peu moins que la consommation totale française sur la même période - 473 TWh. Représentant trois pour cent de l’approvisionnement mondial en électricité et environ deux pour cent des émissions totales de gaz à effet de serre, les centres de données ont la même empreinte carbone que l’industrie aéronautique.

Selon des prévisions récentes, la consommation d’énergie des centres de données devrait représenter 3,2 % du total des émissions de carbone dans le monde d’ici 2025 et ils pourraient consommer pas moins d’un cinquième de l’électricité mondiale. D’ici 2040, le stockage des données numériques devrait générer 14 % des émissions mondiales, soit à peu près la même proportion que les États-Unis aujourd’hui.

Les statistiques actuelles montrent que seule la moitié de la population mondiale est connectée à l’internet et contribue donc à ce déluge de données. Malgré cela, nous notons que le nombre de centres de données dans le monde est passé de 500 000 en 2012 à plus de 8.4 millions aujourd’hui. La quantité d’énergie utilisée par les centres de données continue de doubler tous les quatre ans, ce qui signifie qu’ils ont l’empreinte carbone qui croît le plus rapidement de tous les domaines du secteur informatique.

Cette dépendance à l’égard des centres de données ne fera que croître à mesure que les taux de pénétration de l’internet s’amélioreront dans le monde entier. Par conséquent, le besoin de fermes de serveurs ne fera qu’augmenter au fur et à mesure que le temps passe et que de plus en plus de personnes rejoignent l’internet.

Plus la quantité de données que chaque personne crée augmente de manière exponentielle, plus la pression pour les datacenters va augmenter.

Le lancement de la 5G, la nouvelle vague d’appareils IoT et la montée florissante des cryptomonnaies ne feront qu’aggraver le problème. Plus les appareils seront connectés, plus il faudra traiter de données que jamais.

L’enjeu des catastrophes naturelles plus fréquentes

Si l’on sait depuis longtemps que l’augmentation des températures mondiales pourrait entraîner des phénomènes météorologiques plus violents, les scientifiques sont désormais en mesure d’attribuer directement les catastrophes individuelles au changement climatique. Selon les dernières recherches, jusqu’à 60 % des régions d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Asie de l’Est et du sud de l’Amérique du Sud connaîtront trois fois plus d’événements extrêmes au cours des prochaines années.

L’impact potentiel sur les centres de données est assez évident. Un plus grand nombre de catastrophes signifie un plus grand risque d’interruption de l’alimentation électrique, de perte de données et de dommages physiques aux équipements, ce qui pourrait paralyser une entreprise. La planification des catastrophes naturelles est toujours une considération essentielle pour toute installation, mais la probabilité que ces catastrophes se produisent plus fréquemment rend plus important que jamais pour les centres de données de développer des plans complets de reprise après sinistre (alias PRA - Plan de Reprise d’Activité).

Les datacenters ont, pour la plupart, déjà mis en place de solides redondances qui permettent à l’installation de fonctionner sur une alimentation de secours sans subir de temps d’arrêt des serveurs, ainsi que la mise en œuvre de programmes de maintenance réguliers pour maintenir ces systèmes en parfait état de fonctionnement.

Pourquoi les centres de données sont-ils si peu respectueux de l’environnement ?

Avant toute chose, un centre de données (alias Data Center) est un grand groupe de serveurs informatiques en réseau, généralement utilisé par des organisations pour le stockage, le traitement ou la distribution à distance de grandes quantités de données.

Pour qu’un centre de données reste fonctionnel, il doit soit avoir été construit dans un pays au climat naturellement froid, soit être hébergé dans un environnement à température contrôlée qui doit être maintenu 24 heures sur 24. Selon des études, environ 40 % de l’énergie totale consommée par les centres de données sert à refroidir les équipements informatiques.

La hausse des températures mondiales pourrait inciter davantage d’entreprises à installer des centres de données durables ou à s’associer à des installations situées dans des climats plus frais. Mais migrer 8.4 millions de centres de données en Sibérie est un objectif irréaliste, même si les experts du secteur estiment que la construction de centres de données dans des pays froids pourrait contribuer à réduire les émissions. Google a testé cette théorie en ouvrant un centre de données à Hamina, en Finlande, en 2009. En mai 2020, il a annoncé qu’il investirait 600 millions d’euros supplémentaires dans cette entreprise plus respectueuse de l’environnement.

Cependant, les pays adoptant de plus en plus de lois exigeant que les données des citoyens soient stockées sur des serveurs situés dans le pays, choisir des climats plus froids au-delà de ces frontières n’est plus une option viable.

L’impact environnemental causé par les centres de données ne s’arrête pas à la consommation électrique.

Il est question de millions de mètres cubes d’eau potable gâchés dans des tours de refroidissement pour climatiser les centres de données. Processus, qui, par ailleurs, favorise la prolifération de bactéries et nécessite donc le recours à des produits chimiques polluants.

On peut aussi s’attarder sur les batteries de secours des centres de données - nécessaires en cas de coupure de courant - qui ont un double impact sur l’environnement, en raison de l’extraction des composants et de l’élimination des batteries toxiques. Mais les batteries ne sont pas les seules à créer des déchets, les composants des serveurs qui ont une durée généralement comprise entre trois et cinq ans en génèrent aussi.

Comment rendre les centres de données plus durables à long terme ?

À mesure que le taux de pénétration de l’internet dans le monde continue de croître et que les technologies connectées se généralisent, il est évident que le nombre de centres de données dans le monde va continuer d’augmenter.

Si nous ne pouvons pas vivre sans ces centres de données, le secteur informatique doit chercher d’autres modèles pour réduire son empreinte carbone - plus importante au total que celle de tous les pays, à l’exception des États-Unis, de la Chine et de l’Inde.

La crise climatique imminente n’est toutefois pas un nouveau sujet de discussion, et on peut en dire autant de la durabilité des centres de données.

Sources d’énergie et gestion intelligente

Outre la nécessité de ne plus construire d’environnements à température contrôlée pour abriter les centres de données, les entreprises ont commencé à explorer l’utilisation d’énergies renouvelables telles que l’énergie éolienne, hydraulique ou solaire pour alimenter les centres de données et à optimiser ou mettre à niveau la technologie pour améliorer son efficacité et sa température de fonctionnement.

L’intelligence artificielle est également déployée dans certains centres de données afin de réduire la consommation d’énergie. L’IA peut analyser la sortie des données, l’humidité, la température et d’autres statistiques importantes afin de trouver un moyen d’améliorer l’efficacité, de faire baisser les coûts et de réduire la consommation électrique totale.

D’autres centres de données ont adopté une approche différente pour tenter de réduire la quantité d’énergie qu’ils gaspillent. L’opérateur nordique de centres de données DigiPlex s’est engagé à réutiliser la chaleur résiduelle de ses installations d’Ulven, à Oslo, pour chauffer 5 000 appartements dans la ville. L’entreprise a signé un accord avec le fournisseur local de chauffage urbain Fortum Oslo pour redistribuer la chaleur générée par son centre de données, qui est également alimenté par des énergies renouvelables.

La situation française

Pour rappel, en France, le kWh électrique émet très peu de gaz à effet de serre, grâce au nucléaire principalement. Ce qui est déjà un bon point pour les centres de données situés sur le territoire.

On observe chez certains acteurs français, et notamment avec Scaleway, la mise en place des mesures proactives de durabilité et d’efficacité. Ils s’appuient sur plusieurs axes d’actions assurant que l’installation peut être exploitée, entretenue, réparée et remise à neuf facilement, en passant à une utilisation plus circulaire des matériaux et à une manière plus intelligente et plus propre de consommer l’énergie et l’eau. Par ailleurs, depuis 2017, Scaleway alimente déjà ses datacenters en énergie hydraulique (100 % renouvelable).

Centre de données chez Scaleway fonctionant à l'énergie hydraulique

Vers des centres de données plus responsables

Le changement climatique a déjà un impact majeur sur la façon dont les entreprises formulent leur stratégie en matière de centres de données. Alors que les phénomènes météorologiques extrêmes deviennent plus fréquents et que la demande de pratiques énergétiques durables augmente, elles doivent réfléchir à la manière dont leur solution de centre de données tient compte de ces changements. En s’associant à un datacenter flexible, doté de l’agilité nécessaire pour améliorer l’efficacité énergétique et fournir des solutions de sauvegarde viables, les entreprises peuvent répondre plus efficacement à leurs préoccupations en matière de durabilité et à leurs besoins de reprise après sinistre, alors qu’elles s’engagent dans un avenir potentiellement perturbé.

Toutefois, si d’autres grandes entreprises technologiques continuent à s’engager à utiliser 100 % d’énergie renouvelable, il est certain que cela pourrait accroître la demande d’énergie renouvelable et intensifier la pression sur les fournisseurs d’énergie pour qu’ils continuent à augmenter la quantité d’énergie renouvelable disponible.

La réduction de l’empreinte écologique des datacenters contribuera à atténuer l’urgence de la catastrophe climatique à laquelle notre planète est confrontée. Il est fort à parier que la réglementation gouvernementale, le renforcement des normes et des engagements de l’industrie en faveur de l’informatique dite « verte » et l’augmentation de la pression publique sont des éléments indispensables à un changement significatif à long terme.

Le mouvement est initié depuis plusieurs années, mais le rythme est frustrant et il est clair qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.


Quelques sources utilisées dans cet article pour aller plus loin :